GUIDE DU REVOLUTIONNAIRE

traduit par Narcisse Praz

Chaque revival (nouveau/elle/eaux/elles, néo-, post-, trans-, pré-, etc., même lié aux moments révolutionnaires les plus valables du passé, est réaction et impuissance. Or, l’impuissance est mère du crime et de la folie.
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Aucune rivière ne charrie eau plus ténue que l’est l’encre qui esquissa le sens inépuisable de cet opuscule.
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Le révolutionnaire est comme le beaux Phénix, s’il meurt un soir, le matin voit sa renaissance.
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Tout pouvoir est éphémère. Seules survivent les idées.
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On ne doit pas prendre en compte une action dans sa conjoncture: son aboutissement devra avoir des répercutions valables au moins quarante ans plus tard.
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Les temps changent et avec eux changent les façon de faire la révolution: le révolutionnaire n’a pas de précurseurs, mais seulement des exemples à respecter.
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Seule compte la révolution… et tout le reste est littérature.
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La patience est l’une des trois vertus capitales du révolutionnaire. La quatrième est la limite même de la patience.
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Le révolutionnaire est un scientifique. Sa préparation se fait en profondeur.
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La révolution est un geste d’amour envers la vie, vers le monde.
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Les étapes de la révolution sont au nombre de trois: négation (révolte), théorisation, application (REVOLUTION).
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La révolution est Ethique qui précède Esthétique.
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Le révolutionnaire est toujours prêt pour le Grand Voyage.
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Le révolutionnaire est jeune. Il est toujours jeune. Le révolutionnaire est riche. Il est toujours riche. Le révolutionnaire est beau. Il est toujours beau.
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L’habit ne fait pas le révolutionnaire. L’habit fait le post-révolutionnaire.
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Le révolutionnaire est toujours prêt à recommencer.
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La révolution qui s’arrête pour consolider son propre pouvoir tombe dans le système bourgeois et, à plus longue échéance, se trouve vouée à la déconfiture.
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La révolution est un acte dynamique et, comme tel, permanent.
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Pour être apte à mener à chef une révolution il faut au moins savoir en programmer une seconde.
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Qui aime la carrière regarde son propre mur, qui aime le révolution regarde l’horizon.
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La différence entre présomption et ambition est la même qu’entre la maladie du talon et le survol d’archipels.
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Il convient de se débarrasser des convictions si elles ne sont, comme l’amour, des choix quotidiens.
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Les misères des contingences empêchent de considérer le rapport entre l’âge de la Terre, de l’homme et de sa vie.
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Le révolutionnaire est un penseur qui ne se satisfait pas de penser.
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Le révolutionnaire a le sens du destin. Qui a le sens du destin possède également celui de l’histoire.
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Ce ne sont pas les révolutionnaires qui changent la société, c’est la société qui va à leur rencontre, mais les révolutionnaires sont ceux qui, ayant compris avant les autres quel est le cours du temps, essaient de l’accélérer, faisant en sorte que bien des énergies latentes ne se perdent dans la tristesse de la nuit, dans cette solitude dont beaucoup se croient enveloppés, ils offrent en outre les conditions nécessaires pour approfondir ce qui avait été à peine perçu.
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Il est vain de circonscrire le domaine de la vie, de la création, ainsi que le firent tous les théoriciens jusqu’à ce jour: il est à la fois infini et infinitésimal.
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Si l’automne peut charmer, si l’été peut étourdir, c’est le printemps la vraie saison mentale de la création.
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Quelle que soit la température de vos pieds, c’est le printemps. On renaît.
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Nous reparcourrerons l’automne à l’envers comme notre propre printemps.
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Le révolutionnaire d’aujourd’hui est responsable du Poète de demain.
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Ne nous glorifions pas de cette prise de conscience, le rivage est proche.
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Le révolutionnaire a confiance dans l’intelligence de l’homme et possède également une constante confiance dans la stupidité de l’adversaire.
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Temps, mesure et vélocité sont aussi valables pour l’escrimeur que pour le révolutionnaire.
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Révolution. Nom d’objet féminin singulier. Très singulier.
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D’abord la révolution est pour le peuple, ensuite elle est du peuple.
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Le pouvoir use qui ne le détient pas, disait un ministre italien; ajoutons aussi que qui ne détient pas le pouvoir en réalité ignore ce qu’il est, il en parle seulement, il fait de la littérature et rien d’autre; parce que pour être détenu le pouvoir a besoin de la connaissance… comme toutes choses, avec une distinction toutefois au regard de beaucoup de choses que, pour le pouvoir, possession et connaissance dépassent de loin la limite au-delà de laquelle l’homme place généralement les choses connues. Tel est le pouvoir du révolutionnaire, l’autre est le pouvoir que la révolution doit détruire, à tout prix. L’Histoire, dans la joie comme dans les larmes, est de son côté.
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Grossièreté et perversité. Dans les régimes fascistes, dictatoriaux, la déformation est la norme, mais la tératologie qui s’applique à la démocratie est science bien plus ardue!
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L’informatique rend le réactionnaire encore plus réactionnaire et le révolutionnaire encore plus révolutionnaire.
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Il existe une forme de racisme aussi pour les guerres, celles des blancs, des plus riches, sont plus suivies, discutées, partagées ou souffertes. Les victimes de celles des pauvres ne connaissent ni complainte ni mémoire: qui sait traduire, traduise.
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Souvent il ne s’agit pas de décider entre les armes et le pacifisme, mais entre le sang et la merde.
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Liberté, égalité, fraternité. Ou révolution.
Liberté, égalité, paix. Ou révolution.
Justice et Poésie. Ou révolution.
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Les pays dont le prolétariat vote à droite seront toujours terres d’une arrivée ratée.
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En Italie les moins réactionnaires semblent être les post-soixanthuitards. Le fait est pathétique!
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Les phases de la révolution suivent celles de l’alchimie: d’abord nigredo ou putrefactio, ensuite albedo ou purification pour parvenir à l’accomplissement de la révolution ou rubedo.
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Un roulement de tambours cette nuit me rappelle que le temps est inexorable.
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La désobéissance aux crimes masqués des lois du pouvoir (comme la guerre) doit être organisée, collective et systématique.
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Il y a bien peu de révolutionnaires parmi les poètes, les peintres, les artistes en général; pourtant la révolution ne peut surgir que de leur petit nombre, parfois poètes dépourvus de plume.
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L’immense majorité des professeurs d’université se compose d’hommes sans pouvoir qui croient au pouvoir. Ce sont de petits caporaux présomptueux.
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Les livres sont comme la drogue, ils rendent le crétin encore plus crétin.
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Le crétin riche est un crétin présomptueux. Le crétin diplômé est un crétin complexé.
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Je dansais en jouant des épaules comme en Ethiopie; elle dansait en jouant du sein (elle pouvait, elle). Quand on est dans le coup, autant le jouer à fond.
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Ne suscitez pas l’insulte du révolutionnaire; elle est beaucoup plus redoutable que la vôtre pour sa fantaisie et sa vérité.
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Qu’on est donc bien dehors lorsqu’il pleut dans la maison!
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Toute révolution politique comporte une révolution du langage et vice versa.
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Les grands commettent de grandes fautes; les petits disent de grandes conneries. Quoi qu’il en soit ils ne sont jamais égaux même sous ce rapport inverse; les grands possèdent une mesure qui ne peut être celle des petits esprits.
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Le guide du révolutionnaire n’est pas une invitation à prendre le thé avec les biscuits.
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Le rouge pénétra entre les seins moelleux et vit la musique ondoyer, il avait perdu la mer et le vent de cristal. Il déploya ses bras énormes et la mit en prison ouvrant un gouffre de profonde passion. Le pli des seins exhala un parfum de rosée, monta comme un cerf-volant et se condensa dans la voix d’une chanson inouïe.
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Si ta révolution aboutit, tu seras la première cible. Et c’est bien ainsi.
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«Je ne crois pas que la révolution soit finie», Robespierre et, pour copie conforme, Bertozzi.
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Le voyage est la composante constante de toute œuvre.
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Lorsque l’injustice sévit sur le monde, lorsque le peuple est en léthargie, le temps de la révolution est venu.
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Lorsque, écroulées les idéologies, tout est silence ou guerre entre armées ou abus, ou jeu de partis, ou lâcheté ou rengaine ou sang vainement versé ou logorrhée de mass média ou tout à la fois, le temps de la révolution est venu.
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Tu trouveras sur ton chemin des lâches prêts à se vendre, à servir un patron apparemment plus sûr; ne les balaye pas complètement, ils servent de crible pour identifier leurs pareils.
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Tu trouveras sur ton chemin de petits bureaucrates, maigres ou pansus, tristes ou en sueur qui te montreront leur cul comme le pan, pour affirmer leur petit pouvoir d’employés: ils ne comptent pour rien… d’ailleurs on ne combat pas la bureaucratie parce que depuis sa naissance est veuve d’idées. Elle peut seulement être régénérée. Et il faudra changer les hommes à qui on la confiera.
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La révolution exige la sensibilité du grand nombre et les capacités d’une minorité.
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La camaraderie, le jeu, le rire, sont importants mais ne confondons pas l’excursion en chantant “O Bella ciao… ” avec l’esprit révolutionnaire.
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Le Bronx, Harlem ne sont pas le capitalisme.
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Si vous êtes ennemis du racisme, vous le serez aussi après avoir été spoliés, insultés et frappés par un nègre (ou son assimilé).
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D’autres confondent gentillesse et faiblesse et c’est une erreur; le révolutionnaire ne doit pas confondre pitié et générosité: ce serait une faiblesse.
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Il faudra bien trouver le fil qui relie le droit à la justice!
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Poésie et Justice.
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La stupidité de mon époque, les événements internationaux quotidiens œuvrent plus que moi en faveur de ce guide.
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Ni le grade, ni le titre ne sauraient prévaloir pour ceux qui risquent la vie ensemble.
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L’esprit réel de la démocratie n’a nul besoin de couvertures. Celui qui recourt à un collège en vue de requêtes personnelles instrumentalise le pouvoir et celui qui le suit est un serf.
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Les serfs et les impuissants sont à l’origine de toutes les formes multiples de fascisme.
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Le créateur est un guerrier avec ou sans épée.
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Sans vrais étudiants pas de vrais professeurs.
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Le point vulnérable de chaque institution culturelle, université incluse, est le droit, “à vie”, de juger. L’examinateur devrait faire l’objet périodiquement d’un examen par des personnes totalement étrangères à son domaine. Et ses compétences ne devraient pas outrepasser le temps d’un diplôme universitaire.
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Lorsque les chats mangeront des caramels à la menthe nous ne nous étonnerons pas de voir les pythons gober des rats.
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Chaque fois que la vieille fanfare poétique s’énamoure de ses propres paroles, on peut publier une petite pensée du soir sur la solitude du révolutionnaire.
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La puissante réaction partout dans le monde contre tout ferment révolutionnaire est un génocide culturel.
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L’art est comme toute révolution, sans possibilité de retour.
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Les réformes sont des préservatifs crevés. Il faut changer l’homme.
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La mise en valeur du territoire, cité ou région, est l’internationalisation.
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L’internationalité est l’unique forme possible de culture universelle et la culture des diverses tribus, l’indispensable contribution.
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Le créateur ne fréquente pas les milieux artistiques: il fréquente la vie.
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Démocratie signifie appliquer à soi-même les règles que l’on juge juste d’appliquer à autrui.
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La critique aura vraiment évolué lorsque, la morale ayant opéré sa mutation, elle sera en mesure de découvrir dans sa valeur esthétique et dans la valeur éthique une unité indissoluble.
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Ce qui souvent manque à la critique est l’évidence.
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Les soi-disant victimes innocentes de la révolution sont le plus souvent victimes d’infiltrations à l’intérieur de la révolution. La RR, Révolution Révolutionnée, relèguera ces fautes dans les abîmes d’une antique phase pionnière, mais en maintiendra vive la mémoire.
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Un tel peut être un général avec un guide et un caporal avec un autre. Tout dépend du guide!
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Venons-en à l’insolence; la créativité révolutionnaire et l’insolence furent toujours sœurs jumelles. Mais distinguons: l’insolence sans créativité est pure idiotie.
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La recherche de communautés, de sectes, de fausses formes philosophales ou religieuses, de renouveaux soutenus par spéculations vénales, de sociétés paradisiaques (pacifistes bêlants, militants du vert et du silence), d’interventions plus ou moins masochistes sur son propre corps, est très souvent le résultat d’un défaut d’identité indicateur de la nécessité d’une révolution.
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Une œuvre originale née dans une société réactionnaire est comme un diamant sur une île déserte.
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La tolérance est une vertu périlleuse. La tolérance est l’irritation apaisée par le respect.
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La subjectivation de l’objet et l’objectivation du sujet sont le chemin vers l’objectif, le tremplin pour le saut final décisif.
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La maîtrise de ces deux lignes est la confirmation de ce que déjà tu possèdes.
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Vous verrez l’argument qui se tournera sur lui-même créant le vers qui sème aux quatre vents les rimes en forme de rose. Vingt chansons arroseront les plaines pour neuf siècles et neuf voix sons et pathos et pierres apporteront. Les portes chaque année s’entrouvriront sur l’ère nouvelle confirmant la nouvelle du signe dévoilé. La voile poussée par un vent frémissant dans les ports de la stérilité plus ne tanguera. Va bois hardi, que brûle ton esprit!
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L’art ne se veut pas fonctionnel, mais son résultat est toujours fonctionnel, comme dans les symphonies et les poèmes mystico-religieux, dans les fresques dans les cathédrales du passé. Et cætera. En tous temps et en tous lieux. Dans le contraste entre révolution artistique et révolution politique il y a duperie.
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Les crises, les problèmes. En terrain révolutionnaire n’entrent en considération que les solutions. Les heures de travail? Surtout qualité du travail. C’est au péché que le travail doit d’être une condamnation.
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Il y a des poètes avec et sans tréma. L’œuvre des révolutionnaires, avec tréma, est chef-d’œuvre d’économie, architecture, science conjointes du pathos.
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Le poète peut devenir voyant. Le révolutionnaire est déjà voyant.
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Les révolutionnaires ouvrent des portes que personne ne pourra refermer.
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Pour chaque tribu, pour chaque langue, pour chaque peuple, pour chaque nation: révolution!
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Chrétiens et musulmans ont en commun l’inobservance de leurs textes sacrés.
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Ce ne sont pas les certitudes qui changent le monde, mais l’utopie.
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Qui se réjouit du succès d’un ami est un victorieux.
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La vanité est témoin de la déconfiture.
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Le théâtre révolutionnaire existera lorsque existera la mystique de la représentation.
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Santé et méditation. Vos pensées sont votre corps. La révolution aussi.
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Synesthésie: Compromis n’est pas rouge.
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Parmi les idées reçues il y a la Joconde, la Victoire de Samothrace et la Bible. Chez le révolutionnaire elles peuvent représenter un choix.
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La puissance imaginative de la postérité dépasse parfois celle des prophètes.
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Le noir de l’anarchie est réfractaire à n’importe quelle contrefaçon historique.
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La majeure partie des politiciens vote contre l’adversaire, même lorsque ce dernier œuvre bien; le révolutionnaire se voue à la justice, même lorsque celle-ci est sacrifice et incompréhension.
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La logique selon laquelle l’adversaire a toujours tort conduit à la guerre ou au pacifisme d’emprunt.
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La politique est très souvent l’art de vaincre sans avoir raison. il faut réinventer la politique aussi bien que la justice.
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La différence entre parti et mouvement est que le second vise, au-delà de tout sectarisme, la libération de l’homme.
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La contemplation conduit à la connaissance méditative, l’action à la connaissance dynamique. Toutes les deux conduisent à la Contemplation Active. Lorsqu’on aura atteint la Contemplation Active, s’écrouleront la plupart des philosophies, les différences et les jeux d’imitation entre Orient et Occident.
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La Contemplation Active comporte la résistance contre l’avidité, la haine et la folie.
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Alchimie, première tentative de mysticisme actif. Il se réalisera avec l’Alchinie.
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Dieu. Mot multiple, sans patronyme, féminin et masculin, possible et impossible.
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Il y a différents gonds sur lesquels se fonde la société, objets privilégiés de la spéculation et de la révolution, tels que la régulation de la propriété, la force motrice de l’éros, de la faim et d’autres encore éloignées les unes des autres en apparence. Pour en empêcher l’usage à l’homme et pour l’empêcher de toucher au ciel avec sa tour, un démon leur donna des étiquettes. Ces étiquettes, révélant bien vite une diabolique impuissance, devinrent essentielles. La vérité se situe dans une ligne infinitésimale qui unit deux contradictions.
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Le travail principal des messies, ascètes, puritains fanatiques, politiciens, des gardiens zélés de l’ordre consiste à lécher des étiquettes.
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Rechercher l’estime des autres est une forme de vanité, une corruption de l’esprit révolutionnaire.
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Vertu, liesse, malhonnêteté sont contagieuses. La seconde, néanmoins, est moins imitable.
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Plus lointaine est la cible, plus il faut viser haut.
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Celui qui a le plus lutté pour une idée en est le père et, le plus souvent, aussi le premier vulgarisateur.
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Rien n’est durable en ce monde hormis la loi de la succession dans laquelle il faut insérer toute conception révolutionnaire.
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Poésie, science et joie. Et Justice. Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour perdre son temps et un temps pour la révolution.
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L’adulation repose sur deux formes de faiblesse: celle de qui la prodigue et de qui en est l’objet.
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La pauvreté n’est ni vertu ni liberté.
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Est un optimiste et non un pessimiste, celui qui croit avoir atteint le pire.
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J’ai vu des dauphins voler par-dessus des serpents à plumes et des paons nager dans le magma liquide et des écritures zoomorphiques orner de filigranes mes bottes lorsque m’arriva d’Afrique un paréo blanc pour affronter mon voyage.
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J’ai eu une seule grande tentation en écrivant ce guide: celle de jeter tous mes livres.
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Pourquoi, si je suis un combattant, dois-je refuser de humer le calame parfumé de la pervenche et de me divertir avant et durant la bataille?
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Il ne sert à rien de lutter pour le travail, mais pour les travailleurs.
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Il convient de faire la charité et d’en combattre le principe.
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Donnez au travailleur sa paye avant qu’il se déshabille de son bleu de travail.
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Et les hommes furent punis par le biais de la confusion des langues, puis ils furent punis en leur envoyant des gouvernants ignorants.
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Qui voit les autres meilleurs qu’ils ne sont ne suivra pas forcément la voie de la générosité mais celle du mépris.
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Le nouveau perturbe toujours et, ne correspondant pas à l’horizon d’attente, il ne suscite pas de consensus unanimes.
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Les révolutionnaires ne se trouvent pas sur l’horizon d’attente, ils sont sur l’horizon des événements.
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A l’avant-garde il y a les guerriers, à l’imitation et à la répétition il y a les mendiants. Par guerrier on n’entend pas fauteur de guerre, mais celui que nous chargeons de la signification que lui a attribuée l’histoire de nos civilisations. Et ainsi par mendiant on entend le pauvre en valeurs, le lâche. Le guerrier avance la tête haute; le mendiant avec le cou tordu.
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Sur le plan créatif les discours clairs sont réservés aux personnes limitées; une phrase ou une expression qui n’a qu’une seule signification est vraiment une nature morte.
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Le révolutionnaire possède la beauté du regard qui ne s’arrête pas.
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Le génie de l’homme, sa créativité majeure, hélas ne s’expriment pas dans la création artistique; l’homme déploie les plus hautes formes du raffinement, manifeste la plus tenace volonté, l’ingéniosité la plus versatile, à se compliquer la vie; chaque jour il étudie avec de rares et indescriptibles capacités les modes les plus inhumains de sa propre souffrance: les guerres permanentes, les prévarications, la destruction de l’environnement, les luttes sociales, raciales, les guerres de religion, pour citer les grands exemples, les plus petits sont les rivalités, incompréhensions, vengeances dans les milieux sociaux les plus restreints comme les familles, les lieux de travail, les stades, le pays. Ici l’homme exprime son plus haut degré d’ingéniosité, de créativité… précisément dans l’art de se compliquer la vie. La prétendue création artistique ne vient qu’ensuite. C’est la fameuse lutte entre le bien et le mal? Elle n’y est pour rien. Le fait est que dans le mal il réussit à rejoindre une plus ample action de liberté et, donc, de créativité plus pure. Il convient donc de redonner à l’homme la possibilité de s’exprimer dans une nouvelle conception du monde, de la vie, de l’art, libérée des convictions et limites du passé afin qu’il puisse exprimer le meilleur de sa propre nature.
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Nous nous unirons comme le vent et le soir comme A. R. et la liberté comme les yeux et la lumiére comme Lev Davidovic et la révolution comme l’échelle et l’altitude. Il n’est de drap qui me retienne, ni race qui nous sépare, tu es mon glaive et ma montre, ma balance et mon chapeau, ma paix et mon souci. Mon amour est vent de lapilli qui brûle dans chaque cathédrale et dans chaque forêt pour christs et partisans et sur chaque lieu en révolte.
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Le révolutionnaire veut être dépassé après la révolution.


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Note de l’éditeur

La liberté ne s’improvise pas, c’est un exercice quotidien! Ainsi en est-il d’un Guide du Révolutionnaire: Bertozzi peut se prévaloir d’un militantisme confirmé dans ce domaine. À Paris en janvier 1980 il a, en effet, fondé l’Internationale Novatrice Infinitésimale, appelée ensuite Inisme.
En si peu de lignes nous ne pouvons préciser, à l’intention de ceux qui ne connaissent pas encore ce vaste mouvement, quel est son projet/réalisation, nous dirons seulement, nous référant à divers propos de Bertozzi, que l’Inisme,
® répandu surtout en Europe et en Amérique, a proposé une nouvelle esthétique dans tous les domaines de la création visuelle, écrite et sonore. Le recours à de nouvelles écritures calligraphiques, alphabétiques et symboliques (souvent à l’aide de la phonétique internationale) assume une valeur de création et non d’imitation, de connaissance et non de réalité photographiable. Ces signes, appelés “inies” se veulent une orchestration de sentiments et de pensées, la vision multiple et globale que nous offre la vie. Genèse de l’infinitésimal et fusion avec l’infini: «Comme en physique, écrit-il, est advenue la fission de l’atome, les Inistes ont visé la “scission” des éléments qui constituent la parole». Parole écrite, musicale, sculpturale, picturale, architecturale et de toutes les autres déjà homologuées par l’histoire et d’autres encore en cours d’homologation après l’Inisme;
@ l’Inisme a marqué la troisième phase de l’avant-garde: en parlant d’avant-gardes, en fait, il convient de les diviser en périodes. En général dans le mouvement iniste on cherche à éviter les divisions, étiquettes, mais dans le cas d’“avant-garde”, le nom, bien que discuté, est resté, changeant pourtant son statut, ses buts. Donc, après une “pré-phase”, appelée celle des précurseurs qui peut se situer de 1873 à 1909 (subdivisée en deux, la première, 1873-1896, celle des “poètes maudits”, et la seconde 1897-1908, celle des écoles, ainsi que la définit Apollinaire), nous avons: la première phase à proprement parler, de 1909 à 1918 (fondation du Futurisme et affirmation du Dadaïsme) une période que nous pouvons appeler celle de la révolte (de la négation par la négation); la seconde phase, de 1919 (naissance du Surréalisme) à 1979, une période que nous pouvons appeler celle de la révolution (modification profonde de l’existant), subdivisée en deux, 1919-1939, 1940-1979 (la deuxième période, de désorientation et réification de l’avant-garde, se caractérise toutefois, à certains moments, par la volonté de changement); enfin, la troisième phase de l’avant-garde, de 1980 (naissance de l’Inisme) à nos jours, la dénommée RR, révolution révolutionnée (équivaudrait à l’avant-garde de l’avant-garde) qui se distingue de l’opposition décidée à la chute des idéologies dans le monde ou, si on préfère, ultime bastion de l’idéologie;
© en cette fin de siècle, donc, la jeunesse s’y est reconnue et de nombreux regroupements d’artistes ont archivé leurs documents pour accéder à cette dimension d’abord plus désirée qu’entrevue, se posant ainsi comme mouvement préparatoire INItiateur du troisième millénaire (d’ailleurs dans le passé chaque fin de siècle a été assimilable au suivant: découverte de l’Amérique, Révolution Française, “poètes maudits”, sont quelques exemples).

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Le Guide du Révolutionnaire* […] élargit la portée de l’INIsme déjà en grande expansion: il avait été clairement établi en fait que, né avant tout comme révolution esthétique, il peut être considéré aussi comme philosophie, vision du monde, application éthique, sans que pareilles définitions n’en épuisent la complexité […].
A.G. [Antonio Gasbarrini, 1999]

* Parmi les pensées/aphorismes ou mieux les instructions de ce Guide de Bertozzi, il arrivera rarement de retrouver des propos tirés de publications antérieures (en particulier de ses manifestes ou de son œuvre théâtrale La Signora Proteo ou ailleurs); ceux-ci figurent en italique sans autre indication. Nous saisissons l’occasion pour exprimer notre solidarité à Bertozzi et aux inistes contre qui (éditeurs “non éditeurs”), à des fins purement lucratives, réclame des droits uniques sur le produit de son génie, ralentissant de la sorte, non sans un grave préjudice moral, sa nécessaire divulgation.